
La rayure et les étoffes rayées sont longtemps restées, en Occident, une marque d'exclusion ou d'infamie. Considérée comme une structure impure, la rayure se faisait la stigmatisation de la transgression de l'ordre social. En étaient notamment vêtus, dés le Moyen-âge, tous ceux qui se situaient aux marges de la société chrétienne : jongleurs, musiciens, bouffons, bourreaux, prostituées, condamnés, hérétiques… Les orientaux, qui portaient l'habit rayé, inquiétaient les chrétiens. Et d'autre part, les pelages tigrés que l'on retrouvait dans le monde animal, inspiraient méfiance, autant que les créatures maléfiques, représentées dans les images de l'époque avec l'étoffe rayée du diable.
La société moderne a longtemps continué de faire de la rayure, restée péjorative dans l'imaginaire collectif, l’attribut vestimentaire symbolique de ceux qu’elle situait au plus bas de son échelle : les esclaves, prisonniers et déportés d'un côté, les subalternes, domestiques, militaires et matelots, de l'autre. Aujourd'hui, elle incarne encore de façon négative, une défiance contre le danger ou une interdiction, en témoigne la symbolique du code de la route, et le passage pour piétons notamment.
La rayure connaît pourtant dés le XVIIIe siècle, une considération positive, puisqu'elle devient l'emblème des idées révolutionnaires et donc de la liberté. Mais c'est surtout par le drapeau des Etats-Unis que le changement de perception s'impose, avec ses treize rayures rouges et blanches symbolisant l'unification des états fondateurs.
L'époque romantique vivra l'épanouissement de la rayure positive liée aux idées nouvelles de liberté, de jeunesse, de plaisir, d'humour et de progrès : celles du jeu, du sport, de l'hygiène, de la mer et de la plage. En 1917, Coco Chanel, inspirée par les loisirs de bord de mer, incorpore des rayures dans ses collections. Et Jean-Paul Gaultier, fera de la marinière rayée, un incontournable de la mode dés les années 1980.
Retraçant cette histoire paradoxale de la rayure en Occident, l'historien Michel Pastoureau s’interroge, dans son ouvrage L'étoffe du diable : une histoire des rayures et des tissus rayés, sur l’origine, le statut et le fonctionnement des codes visuels au sein d’une société, d'une culture donnée. Comment avons-nous fait d'un imprimé associé au mal, un leitmotiv plaisant de notre garde-robes et de notre décoration?

Marion Gaillien